Comme beaucoup d’associations Montagne Escalade nous en font la demande, voici un petit doc élaboré par l’orga Freissinières en 2020 qui tente d’expliquer pourquoi et comment s’est mis en place l’expérience Prix Libre à Freissinières.
A partir de ces réflexions, on peut en discuter sur le forum, de nos différentes expériences associatives ou inter-associatives, de nos réussites, de nos questionnements et nos déboires.
Le Prix Libre, c’est quoi ?
En un mot comme en 100, le prix libre c’est :
Une pratique solidaire et inclusive
- Tout le monde a le droit de participer au rassemblement et ce ne doit pas être l’argent qui empêche certains.
- Rassemblement omnisport de Freissinièresle prix libre implique une notion de responsabilisation et d’entraide dans l’échange : ce n’est pas une quelconque organisation qui fixe le prix, mais les participant.e.s : s’il/elle a beaucoup, elle/il peut compenser pour ceux et celles qui ne peuvent pas mettre beaucoup (ou pour la prochaine fois où il/elle sera fauché-e). Il ne s’agit pas d’arnaquer, mais de participer à la hauteur de ses moyens et de ses envies.
Une réflexion collective sur les rapports marchands
- le prix libre n’est pas une alternative économique et tout le monde pourra lui trouver des limites.
- le prix libre permet de réfléchir à l’impact de la société marchande sur notre façon de vivre, notre façon de consommer, notre façon d’envisager la notion de juste prix, pour soi et pour l’autre.
- Le prix libre est une voie pour faire avancer la démarchandisation des activités humaines, pour une pratique et un principe qui peut développer les pratiques associatives et l’éducation populaire.
Une comptabilité simplifiée
- On évite tous les aspects relous du tricount et des comptes précisément faits : X a payé l’alcool mais il n’y a que X, Y et Z qui boivent de l’alcool donc eux seulement payent. Tou.te.s payent en conscience de ce qu’iels ont dépensé ET de leurs ressources.
- On évite une perte de temps pour faire les comptes (rassemblement hiver 2019 Briançon = 2 ou 3 heures l’année dernière, en fin de séjour)
Les présupposées limites du prix libre
Une responsabilité individuelle trop importante quand on défend la vie associative : le prix libre n’est-il pas le dernier avatar de la société libérale ?
On peut compenser cette limite par l’implication des associations/clubs et de la FSGT en général.
Exemple de fonctionnement associatif : financement des sorties à hauteur de 20 % directement versé dans la caisse prix libre. En cas de découvert que l’on n’arrive pas à combler pour quelque raison que ce soit, c’est l’association qui comble.
Respecter l’anonymat = du liquide… mais ça fait beaucoup de liquide et on risque de se le faire voler.
C’est vrai mais alors il faut bien penser et organiser la façon d’avoir le minimum de liquide à un moment donné. Donc comment dépenser vite ce que l’on a sur des frais que l’on paye habituellement en fin de séjour ?
Et c’est à nouveau là que l’on peut penser à une prise en charge associative : si l’argent est volé, comme c’est ensemble et de façon associative que la décision a été prise, c’est l’association qui peut financer les pertes.
En fait c’est beaucoup demander à ceux qui ont de l’argent, voire ce sont les culpabiliser pour qu’ils versent plus.
Cela doit être vrai. Mais que penser de ce problème au regard des gens qui ne peuvent pas partir car ils n’en ont pas les moyens ?
Oui mais dans les faits, la sociologie des grimpeurs est telle que le nombre de pratiquants empêchés de partir à des séjours de cet ordre pour des raisons financières est très probablement infime ; donc il n’y a pas de vrai besoin de « rétablir la balance » financière.
La population de grimpeurs est jeune, donc on va faire la différence entre tou.te.s, avec nos étudiant.e.s, nos jeunes chômeurs/chômeuse, et nos travailleurs précaires. On va aussi faire la différence entre les associations parisiennes et la banlieue parisienne, et plus généralement l’Ile de France, et aussi l’ensemble des associations d’autres régions. Et puis, même si cela était actuellement vrai, ne serait-ce pas le bon argument qui permette à d’aucuns de comprendre que chez nous, l’escalade est vraiment pour tou.te.s, quels que soient ses moyens ? Ça fera peut-être venir d’autres populations.
On peut être déficitaire ; c’est grave docteur ?
De fait le prix libre est aussi une mutualisation des risques, il est impliquant. Si à un moment, nous ne rentrons pas dans nos frais, ce n’est pas aux individus de palier mais bien au collectif de trouver une solution – organiser une soirée de soutien à soi-même en expliquant qu’on veut que le rassemblement soit accessible à tous, etc. Bref, ne surtout pas individualiser la question : s’il manque de l’argent dans le pot commun, c’est que les individu.e.s présent.e.s ne pouvaient pas mettre plus ; on cherche une solution collective pour trouver cet argent, pas obligatoirement dans les bourses individuelles.
Ce qu’il vaut mieux ne pas faire
L’anonymat nécessaire
Le non-respect de cet anonymat crée des processus de culpabilisation des personnes les plus précaires, qui se sentiront obligées de mettre plus que ce qu’elles peuvent ou avaient prévu. De même, dans un groupe qui voyage à prix libre, personne ne se sentira de ne publiquement rien donner, même si des gens ne sont pas en capacité de le faire. Cette culpabilité conduira les personnes stigmatisées à s’auto-marginaliser en ne participant plus aux activités quand elles n’en ont pas les moyens. Ce qui contrevient à l’idée du prix libre.
Mettre un intermédiaire (un trésorier) entre la caisse prix libre et la personne qui paye.
Le fait de rendre le prix libre anonyme évite la culpabilisation car du coup c’est en conscience que l’on finance, pas sur le coup de pression ou du qu’en-dira-t-on.
Ceci implique :
- de fonctionner en liquide car aucune transaction bancaire ne peut être anonyme.
- de donner un libre accès à la caisse prix libre à chacun sans le regard du détenteur de cette même caisse.
Donner un prix minimum
Le prix minimum est une borne, et empêche les plus précaires d’accéder au service. Donc on n’a finalement rien résolu si ce n’est se donner bonne conscience. Et puis, voir plus haut, mais qui sommes-nous pour donner le « juste prix minimum » ?
S’acharner sur un prix de revient
Cela revient à valoriser le monétaire au détriment de la valeur des autres types d’engagements non financiers (par exemple nous ne sommes pas payés pour l’organisation de ce rassemblement). Pour autant il ne faut pas minimiser son intérêt pédagogique et c’est souvent pour ce faire qu’il est utilisé.
Dans la pratique, on a remarqué que ça bornait le montant donné par les usage.re.s qui resteront toujours autour de cette valeur, réduisant les écarts de participation et donc la liberté recherchée à travers la pratique du prix libre. Ceux qui ont des moyens financiers ne vont pas en mettre beaucoup plus que le prix de revient, ce qui n’ont pas beaucoup de moyens financiers ne se sentiront pas de participer vraiment en dessous du prix de revient. Il borne.
Imposer trop violemment le prix libre
Si le prix libre est hors de nos habitudes, s’y habituer devient complexe. Du coup, il est nécessaire de discuter, discuter et encore discuter. Ce n’est pas grave, on ne discute pas que grimpe mais on parle alors de la relation entre « mes rapports à l’argent » vers « la vie associative inclusive ». Ces discussions peuvent avoir lieu en amont, dès l’inscription et bien sûr ont lieu avec l’organisation.
Ne pas tout gérer au prix libre
On entend souvent : le repas c’est au prix libre mais la bière et le vin non. Qu’est-ce à dire et où est la cohérence ? Le prix libre deviendrait alors un truc juste pour faire comme si on voulait remettre en cause les rapports marchands … mais pas trop ! En effet, il y aurait des endroits où on peut remettre en cause et d’autres où il vaut mieux ne pas. Ce genre de pratique dessert le prix libre qui devient totalement incompréhensible, et donc gadgétique, pour qui le pratique. C’est bien sûr un autre discours que de dire « on veut tout au prix libre » mais on expérimente donc on y va au fur et à mesure.